Mobiliser les plus jeunes : le plan climat comme prétexte

Depuis fin 2016, Intermezzo accompagne la Communauté de communes du Val d’Amboise (CCVA) dans l’élaboration de son PCAET (Plan Climat Air Energie Territoire). A ce titre nous avons mené une concertation auprès d’élèves dans 2 établissements scolaires situés sur le territoire.

Le terrain de jeu : de la cour d’école au chai du lycée

L’exercice contraint des marchés publics nous a amené à proposer, en phase de consultation, une action mesurée auprès de deux établissements scolaires. Décomposée en 2 temps (en phase avec le calendrier du plan climat et le calendrier scolaire), notre intervention avait un objectif de progression clair :

  1. un volet d’information-sensibilisation, permettant un lissage des connaissances et une prise de conscience individuelle et collective ;
  2. un volet décisionnel qui conduirait les élèves à tenter de répondre à une question simple : « que peut-on faire pour réduire nos consommations d‘énergie et nos émissions de gaz à effet de serre ? ».

Il s’agissait d’inscrire l’action à hauteur des participants et non pas à la charge de porteurs (hypothétiques) extérieurs comme cela à déjà été fait par ailleurs.

Si la réflexion sur le plan climat peut, pour un public en mesure de le comprendre, être un prétexte heureux à la découverte des institutions et de leur fonctionnement, nous avons fait le choix de resserrer la réflexion sur l’individu et l’établissement afin de rendre l’exercice pragmatique.

Les élèves du lycée agricole d'Amboise

L’école primaire de Souvigny-de-Touraine et le lycée agricole d’Amboise nous ont ouvert leurs portes. Nous avons travaillé avec une classe mixte CM1-CM2 et une classe de première BAC pro, dont certains élèves sont en filière viticole et d’autres en filière hippique. Dans chacun des établissements, un professeur référent nous a apporté son indispensable complicité.

Modes d’animation et ambitions

Évidemment, le sujet « Energie - Climat » est approché différemment selon que l’on s’adresse à un public de 10-11 ans, qui veut se montrer bon élève, et un public de 16-17 ans qui, au contraire, doit montrer une certaine indifférence à l’apprentissage pour obtenir la reconnaissance de ses pairs (on caricature à peine!).

Séparons donc nos deux classes. A l’école primaire, l’instituteur avait de sa propre initiative déjà initié un travail autour du changement climatique et de l’énergie - ce qui est en soit un bon signal car cela signifie que l’idée fait son chemin. Notre apport fut de deux sortes. Sur la forme, nous avons voulu rendre concret notre rapport à l’énergie à travers un inventaire des objets du quotidien dont l’utilité peut toujours être débattue ou a minima questionnée. Sur le fond, il s’agissait de doter l’enfant d’une dizaine d’année d’outils lui permettant de porter un autre regard sur l’énergie et de mener des actions de réduction.

Au lycée agricole, nous avons certes questionné les élèves sur leur quotidien mais aussi sur leurs pratiques agricoles. Pourquoi ? Essentiellement pour deux raisons : la première, l’agriculture, si elle est relativement peu consommatrice d’énergie est avec 16 % du total des émissions de gaz à effet de serre, un secteur sur lequel il est urgent d’agir. La seconde, l’agriculture est fortement dépendante de son environnement et donc directement affectée par le changement climatique. C’est un secteur dans lequel l’adaptation aux impacts du changement climatique est une condition nécessaire à la pérennité de certaines exploitations. Dans la zone voisine de Montlouis-sur-Loire (AOC), la vigne a pour la troisième année consécutive été impactée par les conditions météorologiques (cette année, le gel tardif), affectant dangereusement la pérennité économique de certains viticulteurs. La modification de la phénologie entraîne une maturation plus précoce de la vigne, ainsi plus vulnérable aux épisodes de gel tardif.

Des questions politiques à tous les âges

Notre première intervention a, dans un format singulier, questionné les élèves sur nos modes de vie et nos usages de l’énergie. Cette étape était suffisante pour déclencher les premiers échanges sur l’utilité de certains équipements. Et en primaire comme au lycée, le téléphone portable est apparu comme un sujet chaud. Les premiers pointant la dépendance des adultes et des ados à cet objet du quotidien, les deuxièmes reconnaissant une addiction forte mais la possibilité de changer l’usage qu’ils en font, notamment la recharge nocturne.

Les élèves les plus jeunes, en primaire, font preuve de davantage de flexibilité (voire radicalité) et il est même surprenant d’entendre certains d’entre eux proposer de ne jouer aux jeux vidéos qu’une fois par semaine afin de restreindre leurs consommations d’énergie.

Les élèves de l'école primaire de Souvigny-de-Touraine

Si les constats sont bien souvent partagés, les réponses à apporter peuvent faire débat. A titre d’exemple, les nouveaux équipements électroniques tels que portables, tablettes et ordinateurs ont pu être l’objet de désaccords parmi les lycéens qui en ont des usages variés et donc des perceptions différentes au regard de leur utilité. Les élèves de primaire proposaient de se passer de la cafetière et du four à micro-ondes dont le maître était dépendant ...

Dans un autre registre, comment peut-on prévenir les conséquences des épisodes météorologiques extrêmes toujours plus fréquents en raison du dérèglement climatique ? Non seulement le choix des viticulteurs de Montlouis-sur-Loire de réchauffer l’air par brassage à l’aide d’hélicoptère s’est avéré inefficace mais il a pour conséquence de consommer de l’énergie, donc d’émettre des gaz à effet de serre ... Pour autant, aucune réponse technique n’est satisfaisante pour répondre à cette menace économique et sociale.

Rapidement, nous nous rendons compte qu’à l’échelle de l’établissement se posent finalement les mêmes difficultés qu’à l’échelle d’une société entière : qui est légitime, sur la base de quels critères et avec quels consensus pour réaliser les arbitrages nécessaires à la transition énergétique tout en maintenant l’harmonie du groupe ?

Une action possible grâce au portage politique

En primaire comme au lycée, les élèves ont montré un intérêt réel au sujet. Une action de concertation parallèle (sur le même territoire) auprès d’habitants a elle aussi fait ressortir ce besoin de sensibilisation et de pédagogie auprès des enfants et plus généralement des jeunes. Se pose alors une question simple : pourquoi si peu d’actions sont engagées par les collectivités locales auprès de ce public ?

Nous n’avons pas la réponse mais peut-être quelques éléments d’explication. Traditionnellement, et sauf exception, les collectivités locales ont tendance à faire seules, ou délèguent à des bureaux d’études sans plus d’exigence de mobilisation. Les choses changent, et la voix habitante / citoyenne et davantage reconnue et recherchée.

Par ailleurs, les EPCI ont souvent peu d’interactions avec les établissements scolaires, car ils dépendant d'autres niveaux de gestion: communes, Conseil Départemental, Conseil Régional. Ainsi, notre intervention au lycée a surpris et questionné les services du Conseil Régional, celui-ci ayant mis en place un Contrat de Performance Energétique avec un volet sensibilisation. Notre intervention étant perçue comme une possibilité de doublon, alors que la dimension individuelle et territoriale étaient vraiment au cœur de nos travaux.

Les élèves de l'école primaire de Souvigny-de-Touraine

Autre élément d’explication, la teneur de la nouvelle version du Plan Climat qui fixe toujours plus d’impératifs pour les collectivités notamment en termes quantitatifs ainsi qu’en prise d’engagement. Et le temps et l’investissement consacrés à ces nouvelles obligations laissent finalement peu de place aux « extras » - la concertation scolaire et bien évidemment considérée comme tels alors qu’elle pourrait (pourquoi pas) faire partie intégrante du PCAET. Dans la revue metropolitiques, le maire de Bayonne, Jean René Etchegaray, résume ce sentiment à travers un article intitulé « On est prisonnier de la technique ».

Le moteur est donc politique. Notre action n’aurait pu avoir lieu si elle n’avait été décidée et portée par les élus qui y ont vu un enjeu au moins aussi important que la réalisation d’un bilan énergétique et climatique comptable. Et c’est bien connu, le système d’appels d’offres, aux demandes souvent standardisées, laissent peu de place à l’innovation ou aux « extras » comme nous les avons nommés plus haut. Espérons donc que des expériences comme celles-ci se diffusent, fassent quelques émules et que d’autres actions de ce genre se concrétisent ailleurs.

Quelques enseignements à tirer

Faut-il le rappeler, nous pensons d’abord que la concertation et ses modalités de déroulement doivent être taillées sur mesure, calibrées en fonction des publics et ceux quels que soient leur âge. Nous n’allons donc pas vous livrer ici un mode d’emploi.

Les établissements (représentants et élèves) ont accueilli avec enthousiasme cette action, ce qui signifie qu’il y a un intérêt mais aussi une demande latente pour ce genre d’intervention. Au-delà de fournir aux élèves une autre façon d’apprendre, elle offre aux collectivités une tribune qu’elle n’a pas par ailleurs et qui est nécessaire à l’atteinte des objectifs ambitieux auxquels elles doivent activement contribuer.

Les jeunes sont souvent les grands oubliés des démarches de développement concertées, alors que les échelles de temps les projettent davantage dans cette réalité souhaitée que le public type des démarches de concertation. Ces dernières étant souvent alimentées par des viviers de personnes retraitées et bien qu’elles soient tout aussi légitimes sont sur-représentées. Notons que dans les pays nordiques, et notamment en Suède, l’enfant occupe une place importante dans les politiques d’aménagement alors qu’il en est tristement absent en France.

L’écolier et le lycéen ont des profils distincts et complémentaires : le premier est en devenir, avec une capacité d’apprentissage forte (souvent qualifié d’« éponge »), il est aussi un vecteur tant auprès de ses camarades d’écoles que de ses parents ou de ses proches. Jeune adulte, le lycéen est critique. On peut requestionner avec lui ses habitudes individuelles mais aussi appréhender des questions plus larges, telles que les pratiques professionnelles ou sociétales, dans toutes leur complexité. Il est intéressant de mobiliser le sens critique du lycéen sur les possibilités d’améliorer les pratiques de son établissement, exercice auquel il se prête facilement.

Prodution des élèves de l'école primaire de Souvigny-de-Touraine

Cela semble plus facile de pérenniser la mobilisation et de créer une émulation entre les écoles élémentaires du territoire qu’au niveau des collèges ou des lycées, où les temps pouvant être dédiés à ces exercices sont plus rares au vu de la charge des programmes. Localement, la mobilisation des scolaires sera un véritable succès si elle se poursuit dans le temps et si elle essaime sur le territoire. C’est l’intention poursuivie aujourd’hui par la CCVA.

Pour finir, nous voulons réaffirmer la nécessaire implication des élus préalable à ce type d’action tout en rappelant que son coût reste tout à fait raisonnable. Ce pari sur l’avenir semble bien justifié au regard des résultats et de l’enjeu !

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