Nous avons consacré un premier article aux déplacements et à la mobilité douce à Chandigarh dans lequel nous présentions les éléments structurants des déplacements, les enjeux et les objectifs poursuivis par l'Union Territoriale. Ce billet revient sur une initiative que j'ai entreprise les derniers mois : celle de cartographier les infrastructures cyclables sur OpenStreetMap comme première étape de promotion du vélo comme mode de transport.
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Donner de la visibilité au vélo !
Si les voies cyclables sont nombreuses dans la ville, elles sont relativement peu visibles dans l'espace public et encore moins, me semble t'il, dans les esprits. Le Master Plan 2031 fait toutefois état de la nécessité de communiquer sur le vélo pour encourager sa pratique, en mettant en avant le plaisir qu'il procure et les gains physiques qu'il apporte !
Cycling shall be promoted in a big way throughout the city for enjoyment and exercice, and transportation along green corridors connecting the city (Source Master Plan 2031 - Trafic, p.309)
Dans le paysage de la ville, l'action de l'administration prend à ma connaissance 3 formes visibles :
- la signalétique cyclable d'abord, qui se matérialise par le marquage au sol ainsi que par des panneaux routiers fléchant les infrastructures cyclables. Mais mon sentiment est qu'elle s'adresse avant tout aux cyclistes, même si elle peut attirer tout oeil curieux ;
- un affichage numérique, observé au coeur de la zone piétonnière et commerciale du secteur 17 qui incite à l'usage du vélo à Chandigarh ;
- enfin, la dernière est peut-être la plus récente et aussi la plus visible, il s'agit de la présence des stations de vélos en libre-service disponibles via l'application Smart Bike. Comme partout ailleurs, ce service fait l'objet d'un PPP et s'accompagne de panneaux publicitaires - qui jusque-là étaient complément absents de la ville !
Secteur 18 - Signalétique cyclable, associée au programme Smart City de la ville, symbolisée par la "main ouverte" de Le Corbusier
Après avoir épluché plusieurs documents de l'administration disponibles en ligne et après avoir exploré par ailleurs le sujet de la donnée géographique localement, je dresse le constat qu'il n'y a pas de données ni de cartes publiques du réseau cyclable de Chandigarh. C'est donc pour y remédier et pour apporter ma contribution sur ce champ de la représentation que j'ai choisi de travailler sur la cartographie cyclable de la ville. Au-delà d'être compatible avec mon envie de découvrir chaque recoin de cette ville, ce projet conforte l'existence physique des pistes cyclables et à terme concoure à l'inscrire dans l'esprit de chacun des habitants !
En France, il y a peu de temps encore, nombreux programmes de SmartCity des collectivités se résumaient bien souvent à la libération de jeu de données en opendata - ce qui trahissait leur profondeur de réflexion. Ici, bien que la ville soit engagée dans un tel programme avec le soutien de l'AFD, aucune donnée géographique n'est disponible publiquement. Mais ce que je considère plutôt comme un bon signe pour les politiques smart de la ville - qui se concentrent donc sur d'autres thématiques, prioritaires comme celles de la fourniture d'eau potable ou de la gestion différenciée des déchets - n'augurait rien de bon pour démarrer un tel projet de cartographie.
OpenStreetMap, seul garant d'une diffusion universelle
Je suis un grand admirateur d'OpenStreetMap (OSM) que je suis et que promeus auprès de mes étudiants de Master depuis de nombreuses années, en cours de cartographie. Mes contributions à la constitution de la base de données étaient jusque-là limitées bien que nous l'exploitons de plus en plus dans les différentes missions que nous menons au sein d'Intermezzo, notamment sur les questions de mobilité et plus particulièrement encore dès qu'il est question de déplacements à vélo.
Pour ceux d'entre vous qui connaissent peu ou mal OpenStreetMap, retenez que c'est "le wikipedia de la cartographie", une base de données cartographique alimentée à travers le monde par plus d'un million de contributeurs et partagée sous licence libre. Ce dernier point est crucial car il permet des réutilisations libres et infinies, encourageant ainsi à la valorisation de cet inventaire collaboratif. A titre d'illustration, l'excellent outil d'itinéraires vélos Géovélo exploite à merveille les données cyclables renseignées par les contributeurs d'OSM.
Et aujourd'hui, l'interface OpenStreetMap dispose nativement d'une fonctionnalité permettant de visualiser les voies cyclables via 2 rendus : CyclOSM et CarteCyclable. Vous pouvez d'ailleurs comprendre pourquoi ces deux versions cohabitent et même en savoir davantage sur leur genèse.
On pédale aussi dans la brume, au petit matin, à Chandigarh durant les mois d'hiver - Secteur 8
Que les données SIG existent ou non dans l'un des ordinateurs de l'administration m'importe peu compte-tenu de leur invisibilité du grand public. J'ai donc choisi de les créer moi-même et de m'assurer de les rendre disponibles à tous en les modélisant dans OpenStreetMap, qui au-delà d'être garant de ce partage propose d'ores et déjà des objets géographiques facilitant ce travail.
Cartographier les pistes cyclables, un peu de méthode ...
Je partage avec vous quelques éléments de méthode que je sais largement perfectibles mais qui permettent d'avancer plutôt sereinement et hors connexion la plupart du temps !
Puisque le projet OpenStreetMap est collaboratif, il est très documenté. La première étape, préalable à l'inventaire, est de prendre connaissance des modalités de représentation des pistes cyclables dans la base de données. Après avoir exploré les différents types tant à travers le modèle de données OpenStreetMap que dans la réalité / rue, j'ai décidé de simplifier la représentation. A Chandigarh, je pars du principe que les pistes cyclables dépendent de l'objet "route" auquel j'ajouterai un attribut cycleway qui tiendra compte du sens de la route et des caractéristiques de l'infrastructure (pistes cyclables et bandes cyclables).
Le choix d'un modèle simplifié
Ce choix de la simplicité - qui sera peut-être désavoué par les plus orthodoxes des contributeurs - est guidé par deux principes, en plus d'un calendrier contraint :
- l'usage : ce qui compte avant tout ici, c'est l'existence des voies cyclables dans la base de données et la distinction entre les pistes et les bandes pour des questions évidentes de sécurité ;
- les données de base disponibles. Les pistes cyclables sont géométriquement proches des routes et les trottoirs ne sont pas modélisés, d'où mon choix de rattacher les pistes à ces premières.
Équipement et technique, retour d'expérience
L'équipement nécessaire à une telle entreprise est rudimentaire : une carte basique créée avec QGIS composée d'un fond de carte Stamen-light qui laisse entrevoir les principales voies de circulation, ainsi que les principales routes (V2 et V3) récupérées depuis OpenStreeMap, via l'API overpass - mises en exergue sur le document. D'abord imprimé au format A3, la résolution du document a montré quelques faiblesses en termes de précision lors des premiers relevés. Si vous devez vous-même vous lancer dans un tel projet, je vous conseillerai donc de générer un atlas pour travailler à une résolution adaptée sur le terrain !
Le matériel nécessaire : une carte pour noter les observations et éventuellement un vélo ...
L'essentiel des zones couvertes jusque-là étant relativement proches de ma résidence, j'ai effectué les relevés en marchant, la plupart du temps dans le cadre de déplacements qui avaient un tout autre but que ce travail. Mais les prochains relevés m'éloigneront inévitablement de mon camp de base, et j'ai investi dans un superbe vélo traditionnel indien (image ci-dessus) pour poursuivre ce travail.
Si je devais donner quelques conseils complémentaires, ce serait les suivants :
- ne faites jamais de relevés depuis une voiture (ou un rickhaw). Cela va trop vite et vous n'auriez pas le temps de fixer les lieux ... le travail ne serait pas de bonne qualité ;
- sauf si vous avez une mémoire d'éléphants, faites des petites sorties pour ne couvrir que des petites zones. Cela vous permettra de vous souvenir plus précisément de ce que vous avez vu et de le restituer fidèlement dans la base de données OpenStreetMap. Parfois, les relevés et traces écrites ne suffisent pas ;
- saisissez les données dans OSM dès votre retour. La fraîcheur des relevés est souvent utile en phase de digitalisation des données. J'utilise pour cette dernière phase, l'éditeur en ligne ID que je trouve très ergonomique.
Cartographier les voies cyclables pour quel résultat concret ?
De la métrique d'abord ... Je ne me souviens pas précisément à quelle date j'ai débuté ce projet mais c'était courant janvier. En deux mois environ, près de 60 km de voies cyclables ont déjà été cartographiées et distinguent bandes et pistes cyclables.
Type de voies | Longueur au 01/01/2022 | Longueur au 24/03/2022 |
---|---|---|
Pistes cyclables dédiées | 0 | 49 |
Bandes cyclables (peintes), sur route | 0 | 9 |
Linéaire cyclable cartographié (total) - en km | 0 | 58 |
Évolution du linéaire de pistes cyclables cartographiées en km (source : OpenStreetMap)
La motivation à ce projet est de rendre les infrastructures visibles mais aussi de communiquer sur le niveau de sécurité qu'elles peuvent offrir, même si l'argument n'a pas le même poids qu'en Europe car l'approche du risque est en Inde radicalement différente - ce qui est d'ailleurs libérateur au regard des excès souvent constatés en France.
Avant-après - captures d'écran CyclOSM (source : OpenStreetMap)
Le résultat concret de ce travail est visible ci-dessus et pourra être suivi dynamiquement, directement depuis le rendu cyclOSM d'OpenStreeMap. Mon objectif est de couvrir la ville du secteur 1 au secteur 47 avant mon retour en France.
Mais les résultats les plus attendus viendront selon moi après ce travail d'inventaire, lorsqu'il s'agira de communiquer sur ces données pour rendre désirable le vélo comme moyen de transport en trouvant des formes de diffusion originales et persuasives !
Le véritable enjeu : en faire un projet partagé
Un autre avantage de reposer ce projet sur OpenStreetMap est que la communauté fonctionne par émulation. Et on conseille d'ailleurs au porteur de projets d'enrichissement de la base de données OSM de chercher des contributeurs locaux afin de travailler ensemble, plus efficacement et en équipe.
Problème ici, l'historique des modifications d'OSM ne montre pas de contributeurs actifs ... Surtout, c'est essentiellement auprès des cyclistes que je souhaite trouver l'élan, créer de l'émulation et partager cette envie de pédaler et de promouvoir les infrastructures cyclables.
Malheureusement, mes prises de contact répétées auprès de collectifs et / ou individuels identifiés sur les réseaux sociaux n'ont pas abouties à ce jour, même auprès de celui qui me semblait le plus prometteur, @cyclegiri, et qui joue aussi avec la cartographie.
@cyclegiri REG. 4981 CHD We are an endeavour of a group of cycling enthusiasts from Chandigarh! Working to share a vision of Cycle Friendly India 🇮🇳 #CYCLES4CHANGE
Biographie du collectif cycliste "@cyclegiri" de Chandigarh sur Twitter (mars 2022)
C'est pourtant bien dans un esprit bottom-up et d'autonomisation / empowerment que ce projet a été conçu. Mon souhait est qu'il soit partagé d'abord, puis rapidement repris par des acteurs locaux pour peser sur les choix faits par l'administration ou simplement travailler de concert avec elle dans le but de rendre la pratique du vélo plus désirable et donc plus répandue.
Et c'est probablement avec les étudiants du département de géographie de l'Université du Punjab que je vais avoir le plaisir de partager ce projet et de le poursuivre ! L'équipe pédagogique (merci à elle pour son implication et support) m'a accordé sa confiance et laissé carte blanche pour présenter l'initiative et recruter des volontaires parmi les étudiants alors très enthousiastes.
A l'issue de la présentation, plus d'une trentaine d'entre eux se sont portés volontaires (soit l'intégralité ou presque de l'auditoire ...) pour prendre part à ce projet, et implicitement devenir des des acteurs-relais de cette démarche.
L'organisation va être quelque peu revue pour s'adapter à cette nouvelle configuration collective. Quatre rendez-vous devrait nous permettre de finir l'inventaire et d'explorer le langage visuel pour convaincre que la carte est un bon outil pour encourager à l'usage du vélo. Qu'un jour quelques collectifs ou que l'administration elle-même, s'inspirent de la ville de Mumbai, elle-même inspirée de Bogotá pour décréter un carfree day et que quelques cartographies accompagneront cette journée pour montrer que non seulement la ville est accessible en vélo mais que se déplacer avec procure un plaisir inouï.
Promouvoir le vélo avec la cartographie, une tentative
Pour finir sur le rôle de la représentation, Le Corbusier - reconnu comme le concepteur de la ville - disait "je préfère dessiner que parler. Le dessin est plus rapide et laisse moins de place aux mensonges". Je vous laisse apprécier la formule et l'appliquer au domaine de la cartographie ...
Pour ma part, je me sens bien plus proche du mouvement de la cartographie radicale et de la pensée de Philippe Rekacewicz qui assume la subjectivité des cartes et dont vous pouvez écouter le propos dans le bien nommé épisode "Les cartes nous racontent-elles des craques ?" de l'émission "Sans oser le demander" sur France Culture. Et si les cartes ont, en effet, un tel pouvoir de subjectivité pourquoi ne pas l'utiliser sciemment ?
Mes récents échanges avec le Department of Urban Planning me rassurent sur les intentions réelles de l'Administration de Chandigarh en terme de mobilité. Et si ses représentants regardent aujourd'hui cette initiative avec autant de bienveillance que de curiosité je suis persuadé qu'ils sauront, dans un futur proche, jouer de cette même subjectivité pour convaincre.
L'atelier, en plein-air, d'un réparateur de vélos en bord de route - Secteur 9