Chroniques de Chandigarh

Chandigarh est certainement la ville indienne la plus "occidentale". Planifiée, régulée, respectée, c'est une oasis urbaine dans ce pays immensément riche en diversité urbaine mais dont le modèle dominant est plus anarchique et instantané. Ce billet ouvre une série de réflexions sur la ville de Chandigarh "The City Beautiful", la ville en Inde mais aussi plus généralement sur notre rapport à la ville, aux éléments qui la compose, à sa fabrique et à nos modes de vie. Nous allons donc au cours des prochains mois parler urbanisme, mobilité, nature en ville, smart city, énergie, changement climatique et plus encore ... avec une approche comparée pour mieux questionner et repenser nos façons de faire et autant de prétextes à appliquer et faire évoluer notre approche et nos outils de travail.

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Quelques repères

La ville se situe à 250 km au Nord de Delhi, au pied de la cordillère de Siwalik (Himalaya). Elle se situe bien au-delà du Tropique du Cancer à une latitude de 30° Nord environ, soit l'équivalent du Caire en Egypte ou d'Austin au Texas.

Elle s'étend sur une superficie de 114 km² et bien qu'elle soit proche des montagnes, c'est une ville plate, qui s'élève à 300 m par rapport au niveau de la mer environ. Initialement conçue pour accueillir 150 000, puis 500 000 habitants, elle en recensait un peu plus d'un million en 2011 - soit une densité de 9 300 habitants /km² environ. Le recensement qui a lieu en Inde tous les 10 ans n'a pas pu être mené cette année en raison du COVID. L’administration centrale estime la population à près de 1,2 millions en 2021. D'autres projections (Ministry of Environment and Forests - Government of India) reposant sur les tendances de croissance observées évoquent plutôt 1,9 millions à horizon 2021. D'un recensement à l'autre, l'augmentation oscille entre 40 et 75 %. Qu'importe le nombre réel d'habitants aujourd'hui, c'est 1) une ville en pleine croissance - ce qui implique une pression foncière importante et une périurbanisation galopante et 2) elle reste une "petite ville" en Inde, avec des qualités reconnues et un fort pouvoir d'attraction. Chandigarh forme avec ses villes banlieues Panchkula et Mohali, la Tricity.

Autre précision d'importance, Chandigarh est une des villes les plus riches de l'Inde. Chaque année les journaux relaient le classement des villes indiennes concernant le revenu moyen par habitant, et vantent les excellentes performances de Chandigarh, dans le top 3 - avec plus du double de la moyenne nationale. Dans un pays inégalitaire, cette richesse n'est évidemment pas équitablement partagé mais la bonne santé financière de ses habitants est visible et même frappante (belles maisons - prix de l'immobilier, grosses voitures, train de vie, etc). L'Union territoriale de Chandigarh est aussi en haut du classement au regard de l'Indice de Développement Humain - 0,786 en 2019.

Son climat est humide subtropical, sous influence continentale. La température peut tomber à 5° C l'hiver (de décembre à février) et monter à 45° en été (mai et juin sont généralement les mois les plus chauds). La région de Chandigarh est touchée par une mousson tardive (de juillet à septembre), essentielle à la constitution des réserves d'eau. Les normales de précipitation sont de 1100 mm / an. Autrement dit la quantité de précipitation annuelle est plus proche de celle du Finistère que du département parisien, bien que la répartition soit fondamentalement très différente car l'essentiel des pluies se concentre sur la période juin-septembre.

Le site web du gouvernement de Chandigarh complétera ce portrait.

Chandigarh, une ville nouvelle pour faire entrer l'Inde dans la modernité

Fin d'année 2015, la Cité de l'Architecture et du Patrimoine rendait hommage à Chandigarh, dans le cadre de l'exposition "Chandigarh : 50 ans après Le Corbusier". C'est en effet à Le Corbusier que revient la construction de cette ville nouvelle décidée au lendemain de la partition par le (premier) premier ministre Jawaharlal Nehru dans le but de doter la partie orientale du Punjab d'une nouvelle capitale - l'ancienne, Lahore, étant rattachée au Pakistan.

Si l'histoire associe le nom de Le Corbusier à la construction de cette ville, elle est en réalité bien plus complexe. Plusieurs architectes et historiens ont documenté sa conception à travers plusieurs ouvrages. Rémi Papillaut, spécialiste français de la capitale du Punjab a ntamment publié Chandigarh et Le Corbusier - Création d'une ville en Inde 1950-1965. Vikramditya Prakash, architecte-historien-théoricien de l'architecture, diplômé du Chandigarh College of Architecture (CCA) de Chandigarh et professeur à l'Université de Washington a lieu aussi publié plusieurs ouvrages sur la ville dont la lecture de Chandigarh's Le Corbusier: The Struggle for Modernity in Postcolonial India' est probablement le plus complet.

Plan de Chandigarh - Albert Mayer

Plan initial de Chandigarh construit par Albert Mayer (source Internet)

Retenons que Le Corbusier a pris le relais d'un projet existant, initialement confié à l'architecte américain Albert Mayer et à son associé polonais Matthew Nowicki. Ce dernier étant mort dans un accident d'avion de retour d'Inde, Albert Mayer a choisi de se retirer du projet et l'histoire laissait (enfin) une opportunité à Le Corbusier de donner vie à un projet d'ampleur.

Retenons aussi que Le Corbusier ne s'est pas engagé seul dans ce projet titanesque mais qu'il s'est entouré de son cousin Pierre Jeanneret, qui s'est établi à Chandigarh jusqu'à sa mort et est devenu l’architecte en chef du projet, ainsi que des architectes anglais Maxwell Fry et Jane Drew, spécialistes reconnus de l'architecture tropicale. Il semblerait d'ailleurs que ce soit cette dernière qui ait réussi à convaincre le maître de la modernité à accepter ce projet. Enfin, un armée de "junior architects" indiens s'est formée auprès de l'équipe européenne et l'a assistée.

Au coeur du secteur 17, quartier commercial

Un coin calme - au coeur du secteur 17, quartier commercial

Chandigarh, capitales multiples

Conçue pour être la capitale du Punjab au moment de l’indépendance de l'Inde en 1947, la ville de Chandigarh est devenue au fil du temps la capitale de l'Haryana, Etat né d'une division avec le Punjab en 1966 sur la base de critères linguistiques. La ville est enfin devenu un territoire d'exception en termes administratifs car la même année le statut de Territoire de l'Union lui a été conféré, impliquant qu'elle relève directement de l'administration du gouvernement central indien. La ville de Pondicherry, les îles Andaman & Nicobar ou encore le Ladakh sont placés sous le même régime.

Palais de l'Assemblée - complexe du Capitole - par Le Corbusier

Palais de l'Assemblée - complexe du Capitole, Secteur 1 - la signature brutaliste de Le Corbusier

Son statut de capitale en fait une ville administrative, abondamment peuplée de magistrats, juristes, avocats et d'employés gouvernementaux.

Chandigarh, une cité-jardin revisitée et fonctionnelle

La plus grande singularité de Chandigarh est d'être une ville indienne planifiée. Elle a été conçue sur un plan hippodamien divisé en secteurs de 1200m par 800m et orienté sur un axe nord-est / sud-ouest. Ces secteurs sont séparés par des voies de circulation. Le Corbusier a, à Chandigarh, théorisé et mis en pratique le système de circulation V7 (détaillé en anglais ici) :

  • V-1 Fast roads connecting Chandigarh to other towns.
  • V-2 Arterial roads.
  • V-3 Fast vehicular sector dividing roads.
  • V-4 Meandering shopping streets.
  • V-5 Sector circulation roads.
  • V-6 Access roads to houses.
  • V-7 Foot paths and cycle tracks.

On notera d'ailleurs l'existence de la dernière catégorie dédiée aux chemins piétonniers et cyclables posant les bases infrastructurelles des circulations douces. J'ajouterai que les circulations douces se prêtent parfaitement à la forme urbaine du superblock, notamment pur les déplacements intérieurs. Chaque secteur est conçu pour répondre aux besoins du quotidien, dispose un plan d'aménagement intérieur unique et développe sa propre identité.

Au nord de la ville, le complexe du Capitole est la zone la plus emblématique de Chandigarh, classée au patrimonial mondial de l'UNESCO. Il s'agit d'un complexe monumental, construit par Le Corbusier, dédié à l'administration et à une certaine forme d'art. Il réunit le Secrétariat, la Haute Cour, le Palais de l'Assemblée, La Main ouverte et la Tour des Ombres. C'est un espace ouvert magistral et monumental mais désertique. Selon Rémi Papillaud, le Capitole "ressemble plus à un aéroport désaffecté qu’à un centre ville".

Le concepteur de la ville a choisi d'y intégrer pleinement la nature à son plan. Le corridor vert de la "Leisure Valley" fend la ville (les amateurs de sociotopes apprécieront le toponyme) et de nombreux parcs et jardins agrémentent la vie des habitants et des animaux omniprésents - les oiseaux s'observent en masse. Environ 1/3 de la surface de la ville est végétalisé !

Parc de quartier - Secteur 19

Un parc de quartier - Secteur 19

Enfin, le Sukhna Lake est un lac artificiel créé par Le Corbusier et son équipe par déviation des eaux des montagnes visant à offrir un cadre idyllique pour le divertissement des habitants. C'est un lieu de récréation aujourd'hui très animé le week-end. C'est aussi dans ses eaux que les cendres de Pierre Jeanneret ont été dispérsées après sa mort, à sa demande.

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