Non, les énergies renouvelables ne sont pas de coûteux gadgets !

Le 28 octobre 2015, Brice Couturier, chroniqueur sur France Culture jouissant de la large audience des Matins, se fendait d'un discours anti énergies renouvelables sobrement intitulé « Le solaire et l'éolien, coûteux gadgets ». Il est accessible en lecture et au format audio sur le site de la radio.

De l'autre côté du poste, nous écoutons, d'abord curieux, interloqués ensuite, puis passablement énervés avant d'éprouver une véritable colère face à ces constats mensongers qu’établit Brice Couturier à cette heure de grande écoute. Bien que tardive, une mise au point modeste et factuelle nous semble nécessaire.

Atoms for peace ou l'avénement du nucléaire civile

Avant tout une chronique pro nucléaire ...

Brice Couturier signe ici sans la nommer une chronique pro nucléaire et basiquement anti énergies renouvelables. Pourquoi pas ? Le chroniqueur, par ses fonctions, n'a pas le devoir d'informer mais est là pour susciter questionnements et discussions.

De notre côté, nous défendons le développement des énergies renouvelables tout en reconnaissant leurs limites – aujourd'hui d’ailleurs partiellement contournables. Nous pensons aussi que le développement de la filière EnR doit faire l'objet de précautions particulières : chaque projet doit être pensé, dimensionné, adapté au contexte tant environnemental que sociétal, faire ses preuves de viabilité économique, impliquer les citoyens et les parties prenantes... et le cas échéant pouvoir être écarté si l'un des facteurs ou leur combinaison compromettait sa faisabilité ou son efficacité.

Les arguments sur lesquels s'appuie Brice Couturier sont principalement les suivants :

  • Nous n'avons jamais manqué d'énergie et notre énergie est bon marché
  • L'électricité que nous produisons est écologique
  • La France est en partie indépendante grâce au nucléaire
  • Les énergies renouvelables sont intermittentes et très chères

Voici nos réponses aux arguments avancés.

 L'élasticité prix et la négation de la pénurie

« Nous n'en avons jamais manqué ». C’est par cette affirmation, que Brice Couturier, en début de chronique, souhaite instiller l’idée d’une disponibilité illimité d’énergie à bas prix rendant superflue le développement de filières nouvelles de production d’énergie.

En premier lieu, il est opportun de rappeler que le pétrole et le gaz, comme toute marchandise, possèdent une élasticité prix (plus ou moins rigide), la demande se contractant (plus ou moins rapidement) avec la montée des prix. Ainsi, il ne manque jamais de pétrole, mais il peut en manquer à un prix accessible. Et il faudrait tout ignorer des pics pétroliers des années 1970 pour écrire que ces matières ne nous ont jamais fait défaut. D’autres coupures soudaines d’approvisionnement en énergies fossiles ont pu exister en fonction des évènements géopolitiques, et à ce propos nous devons rappeler les récentes crises russo-ukrainiennes qui ont coupé l’approvisionnement en gaz d’une partie de l’Europe.

Rappelons aussi qu’en 2013, la facture énergétique de la France s’est élevée à 65 milliards d'euros (voir le Bilan énergétique de la France 2013 – Juillet 2014 – SOES) soit un montant supérieur au déficit commercial. La facture énergétique de la France est donc colossale, même si sa composante électrique l'est moins (voir plus bas).

De quelle écologie parlons-nous ?

Brice Couturier présente la production du système électrique français comme « écologique », concurrençant ainsi les filières d’ENR sur l’aspect zéro CO2.

Le paysage bucolique du nucléaire (source : inconnue)

L'argument fallacieux de l'énergie nucléaire écologique car peu émettrice de CO2 est ici repris honteusement. Certes, les politiques publiques et les médias sont, COP21 oblige, tournés vers les enjeux du réchauffement climatique et des émissions de gaz à effet de serre. Il y a, malheureusement pas si longtemps encore, ceux-ci avaient leur regard rivé sur un pays développé (comme le nôtre) qui a fait le choix d'une énergie nucléaire « écologique » (comme la nôtre) étant à l'origine de l'une des plus grosses catastrophes environnementales de ce début de siècle. 2011, Fukushima, plus de 200 000 personnes évacuées dans un rayon de 20 km autour de la centrale. En 1986, c'était Tchernobyl : plus de 1 350 000 évacuées dans la semaine qui a suivi l'accident et plus de 645 000 liquidateurs ont participé à l'assainissement du site entre 86 et 1990.

Quittons la catastrophe pour revenir sur le fonctionnement normal du nucléaire, dont le métabolisme requiert d'être nourri (d'uranium, matière non renouvelable – voir plus bas) et produit des déchets hautement radioactifs. Si ce terme de déchets n'est pas employé dans la chronique de B. Couturier, c'est parce que cette question de « l'après » valorisation énergétique est souvent occultée – cette occultation contribue d'ailleurs à la grandeur du mythe nucléaire.

Pourtant, l'ANDRA - Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs – indique sur son site qu' « à la fin de l'année 2013, il existait en France environ 1.460.000 m3 de déchets radioactifs ». Pour apprécier le degré de radioactivité de ceux-ci, nous vous invitons à visiter l'instructif résumé mis à disposition sur le site de l'agence. Et l'ANDRA elle-même prévoit un doublement du volume des déchets de Haute Activité (HA) entre 2010 et 2030, dont certains d'entre eux ont une durée de vie de 2 millions d'années ...

Au-delà de la question difficile des déchets, la gestion du parc nucléaire français est à l'origine d'incidents quasi quotidiens répertoriés par l'ASN. Souvent bénins, ils peuvent aussi avoir des conséquences environnementales ou humaines plus lourdes, notamment lors de rejets radioactifs. Par ailleurs, la multiplication des niveaux de sous-traitance (jusqu'à huit selon l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui a alerté le gouvernement en juin dernier) pose un problème majeur de sécurité, y compris vis à vis du risque terroriste – qu'on ne peut plus exclure dans le contexte actuel.

L'argument écologique ne tient donc plus dès lors que nous en quittons la vision simpliste résumé au bilan d'émissions de gaz à effet de serre.

En finir avec le mythe de l’indépendance énergétique française

L'auteur poursuit sa chronique de l'ignorance en précisant que « sans doute sommes-nous excessivement dépendants de cette ressource [nucléaire] » mais que le développement du gaz, peu polluant, accroîtrait notre dépendance énergétique. Là encore, Couturier entretient le mythe de l'indépendance grâce à l'atome. Mais, souvenez-vous, l'approvisionnement en uranium pour alimenter les centrales nucléaires est nécessaire … et la France ne dispose plus de réserves (5 T ont été produites en 2013). Elle va donc l'exploiter ailleurs – notamment au Niger. Si notre électricité est bien produite sur place, la matière première le permettant est importée. Par conséquent, l'électricité nucléaire ne garantit aucunement notre indépendance énergétique, et est par ailleurs source de corruption au plus haut niveau de l’Etat.

Déchets d'exploitation des mines d'Arlit - Niger (source : Yann Arthus Bertrand)

L'énergie renouvelable est, elle, bien souvent le fait du soleil et du vent. Ces deux éléments naturels – dont le second est la conséquence directe du premier – sont, eux, la propriété d'aucun groupe industriel ni Etat. Et par conséquent, leur utilisation garantit une indépendance énergétique, de même que les filières de bois-énergie, de méthanisation ou de géothermie qui, elles, présentent l’avantage d’être exploitées localement.

L’intermittence, un frein réel mais surmontable

En effet, le vent et le soleil sont des sources d’énergie intermittentes, le vent ne souffle pas en permanence et il n’y a pas de soleil la nuit (!), ce qui crée des variations de productions parfois difficiles à anticiper pour les gestionnaires de réseau. Cependant cette intermittence est aujourd’hui de mieux en mieux gérée et le foisonnement permet de la réduire sans toutefois la faire disparaître totalement. D’autres moyens de production peuvent être mobilisés au cours de ces variations et des solutions de stockage ou de transformation d’énergie sont en train de voir le jour. Ainsi, les scénarios Negawatt ou Ademe - Mix électrique 100% EnR mettent notamment en avant le développement de la méthanation, consistant à produire du gaz avec les surplus d’électricité produit pendant les pics de production.

Aujourd'hui, il faut payer la dette énergétique ...

L'énergie nucléaire était, jusque-là, plutôt « bon marché », c'est vrai. Et nous allons maintenant payer la dette ! Le coût du MWh issu des centrales ne prenait pas en compte les exigences fortes de sécurité – non considérée car inimaginable avant Fukushima, ni même le coût du démantèlement de nos installations nucléaires. Mais le parc français de centrales produisant près des ¾ de notre production électrique arrive aujourd'hui en fin de vie. Il va donc falloir investir pour développer de nouvelles sources d’énergie mais aussi payer pour démanteler ces monstres industriels que sont les réacteurs. Le coût du démantèlement est d'autant plus important que techniquement, les constructeurs / producteurs ne savent pas comment s'y prendre ... mais c'est un autre sujet.

L'argument d'une énergie bon marché ne tient pas non plus lorsqu'on observe l'évolution des coûts de l'EPR aujourd'hui en construction à Flamanville. Le prix initial de 3,3 milliards d'euros s'est envolé à 12,5 (et la hausse n'est peut-être pas terminée) pour un projet qui ne produira peut-être jamais un MWh d'électricité tant les anomalies techniques relevées sont multiples et, pour certaines, menacent très sérieusement l'aboutissement du projet. En 2014, Benjamin Dessus – de l’association Global Chance – estimait déjà le coût du MWh électrique en provenance de l’EPR entre 76,8 et 92,8 € en prenant l’hypothèse d’une exploitation sure 60 ans et d’un coût de construction inférieur à 8,5 milliards d’euros. Si le coût final est aujourd’hui inconnu, il est certain qu’il dépassera les prévisions effectuées. L'heureux consommateur financera à terme cet écart kWh par kWh ...

Pour revenir au titre de la chronique, plus personne ne semble considérer l'éolien et le photovoltaïque comme de couteux gadgets. Il faut rappeler qu'entre 2010 et 2013, le coût de production d'EDF a augmenté de 20,6 %. Dans le même temps, le prix des énergies renouvelables a diminué fortement au point qu'aujourd'hui, on parle de la parité réseau du coût des centrales solaires dans une quinzaine de pays européens. Les coûts ont baissé d'environ 80 % pour le solaire depuis 2009 (hors domestique), et 60 % pour l'éolien (source : Lazard – Levelized cost of energy – novembre 2015). Au point qu'aujourd'hui, les investisseurs allègent leur portefeuille sur les énergies fossiles pour investir dans les énergies renouvelables où qu'un géant comme EON se concentre sur ces mêmes énergies.

Un peu de lecture de la presse économique aurait pu prémunir notre chroniqueur de cette erreur : l’énergie solaire et éolienne n’ont pas la cote parce qu’elles sont renouvelables mais bien parce qu’elles sont rentables !

Un four solaire à concentration  - (source : Markel Redondo)

Dernier argument de la chronique, les énergies renouvelables ne produisent qu'un pourcentage faible de l'énergie consommée, il ne faut donc pas les développer. Argument étrange qui revient à prôner un immobilisme en toute chose.

Pour en finir avec les gadgets

Brice Couturier a donc signé ce 28 octobre une chronique totalement à charge, s'appuyant sur des arguments datés, des constats mensongers et des analyses qui manquent cruellement de profondeur. Plus grave encore, il l’a fait en bénéficiant d’une audience large – qui ne doit évidemment rien à ses qualités de chroniqueur - en partie composée de décideurs n’ayant pas toujours le temps de s’informer sur ces questions énergétiques et pourtant amenés à faire des choix s’y relatant. France culture est un des rares espaces (publics !) d’ouverture et de débat dans lequel intervenants et invités éclairent souvent les auditeurs de leurs riches idées et pensées originales. A côté, notre chroniqueur fait ici pâle figure, à tel point qu’il ne nous semble pas inutile de poser clairement la question : Brice Couturier est-il un « gadget » journalistique de trop ?

En complément : une précision sur la CSPE

Cela fait 10 ans que le consommateur d'électricité finance, malgré lui c'est vrai, le développement d'énergies renouvelables en s'acquittant de la CSPE (Contribution au Service Public de l’Électricité ). Notons que le même consommateur a financé, dans les mêmes conditions, le développement de la filaire électronucléaire lors du lancement du plan Messmer en 1973.

La CSPE est souvent dénigrée par les anti EnR car elle est à la fois le symbole d’un rééquilibrage énergétique français mais surtout le symbole d’un Etat fort imposant ses choix au consommateur en le mettant directement à contribution. Mais si les 2/3 de la CSPE servent bien au financement du développement des énergies renouvelables (incluant ainsi le renouvellement du système énergétique français), le reste est dévolu à la péréquation tarifaire à 23,5 % ainsi qu'au financement du dispositif en faveur des personnes en situation de précarité.

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